Les modèles vous rapprocheront de vos clients
Aujourd’hui, nous n’allons pas parler d’informatique. Notre apprentissage de la modélisation commence par un détour dans le monde des affaires.
Car les modèles ne servent pas qu’à développer des logiciels. L’habitation où vous vivez et le bâtiment qui abrite l’organisation où vous travaillez ont été au préalable étudiés et élaborés sous forme de modèles par des architectes et des ingénieurs civils. Et toutes les entreprises suivent un modèle économique, qui est un plan d’action que leurs dirigeants ont mûrement réfléchi afin qu’elles soient viables et réalisent du bénéfice.
Notre séquence de billets sur les modèles économiques vous donnera une bonne compréhension de ce qu’est un modèle. Vous allez voir de vos propres yeux à quel point un langage de modélisation bien conçu facilite la vie. Vous aurez en plus dans vos mains des outils efficaces qui vous aideront le jour où vous aurez une envie entrepreneuriale.
L’empathie pour les clients
Aucune entreprise ne peut durer sans des clients qui achètent ses produits ou ses services (Osterwalder et Pigneur, , p. 20). Certaines entreprises échouent parce qu’elles mettent sur le marché des choses qui n’intéressent pas suffisamment de gens. Elles investissent du temps et de l’argent dans des projets qu’elles présument être de bonnes idées, oubliant de tester si la clientèle concernée est prête à payer pour bénéficier du résultat final (Osterwalder et al., , pp. 172–253).
Cet écueil s’évite en faisant preuve d’empathie pour les clients (Osterwalder et al., , p. xxiii). Avoir de l’empathie, c’est se mettre à la place des clients pour comprendre leurs buts, leurs problèmes et leurs attentes. C’est se poser trois questions simples :
- Tout d’abord, qu’est-ce que les clients veulent faire advenir ou voir se réaliser ? (Chaque réponse est un but du client.)
- Ensuite, quelles entraves les mettent en difficulté ou les bloquent ? (Chaque réponse est un problème du client.)
- Enfin, quelles sortes de solutions cherchent-ils pour les surmonter ? (Chaque réponse est une attente du client.)
Il est préférable de regrouper dans un même graphique toutes les réponses à ces trois questions. Ce graphique sera un excellent profil de la clientèle. Le Canevas de l’empathie (figure 1) a été inventé pour cela (Osterwalder et al., , pp. 10–25).
Le Canevas de l’empathie s’utilise en notant les buts, les problèmes et les attentes des clients respectivement dans les zones de droite, du bas et du haut (figure 1). À titre d’exemple, nous avons modélisé avec lui les buts, les problèmes et les attentes, selon nous les plus plausibles, des lecteurs de ce blogue. Notre modèle est présenté sur la figure 2.
Il existe des astuces pour remplir le Canevas de l’empathie quand on ne sait pas par où commencer (Osterwalder et al., , pp. 10–25) :
- Noter en premier les buts, les problèmes et les attentes les plus évidents. Par exemple, sur la figure 2, « se former au génie logiciel », « obtenir un diplôme », et « devenir ingénieur logiciel » sont les premiers mots que nous avons immédiatement écrits.
- Trouver les pourquoi derrière chaque but, problème et attente. Pourquoi, par exemple, nos lecteurs désirent-ils se former au génie logiciel ? Certains d’entre eux sont peut-être motivés par l’envie de se reconvertir professionnellement afin, peut-être, d’exercer une activité qui a de l’avenir (figure 2). Se demander pourquoi inspire de nouveaux buts, problèmes et attentes.
- Ne pas négliger les émotions. Si des buts, des problèmes ou des attentes de nature émotionnelle vous viennent à l’esprit, mettez-les aussi sur le Canevas de l’empathie. « Être reconnu comme un expert » et « se sentir confiant en ses capacités à mener à bien n’importe quel projet de développement logiciel » sont des exemples de buts émotionnels. Les clients mûs par ces objectifs aspirent à gagner en influence, être perçus favorablement, ou poursuivent un état de satisfaction personnelle. Il faut en tenir compte.
Il est bon de réserver une couleur pour les buts (ici en jaunevert), une autre pour les problèmes (ici en orange), et une autre pour les attentes (ici en bleu). Une couleur supplémentaire (nous avons choisi le gris) s’avère indispensable pour différencier ce qui est hypothétique et ce qui a été vérifié par des expérimentations comme, par exemple, des sondages, l’organisation de rencontres avec les clients, ou des appels à l’action (Osterwalder et al., , pp. 200–237).
Un appel à l’action consiste à inviter les clients à manifester leur intérêt pour une chose par une action. Par exemple, en s’abonnant à une lettre d’information, en venant à un évènement, en précommandant un produit, ou en finançant un projet. L’augmentation graduelle de l’effort demandé permet de voir concrètement jusqu’où ils sont prêts à aller (Osterwalder et al., , pp. 218–219).
Un appel à l’action n’a souvent pas besoin d’être extraordinaire. Pour tester, par exemple, que nos lecteurs souhaitent commercialiser des logiciels (figure 2), nous pouvons écrire un livre sur le sujet et le leur proposer en échange d’une adresse électronique. Cette méthode est fréquemment employée sur l’internet.
La fin et l’issue d’une expérimentation sont de confirmer ou d’infirmer des hypothèses (Osterwalder et al., , pp. 216–217). Des conclusions positives persuaderont peut-être de potentiels partenaires de rejoindre un projet. Osterwalder et al. (, pp. 204–207) ont préparé une fiche de test (figure 3) pour faciliter leur partage et surtout en garder la trace.
Sur la figure 2, le gris exprime une incertitude. Il arrive parfois qu’au début un modèle soit couvert de gris. Toutefois, pour diminuer le risque de se tromper sur ce que les gens recherchent, les éléments grisés doivent être progressivement soit supprimés, soit recoloriés en jaunevert, orange ou bleu au fur et à mesure des expérimentations.
D’ailleurs, d’autres personnes ont peut-être déjà réalisé et documenté des expérimentations qui donnent des indices sur les buts, les problèmes et les attentes des clients (Osterwalder et al., , pp. 108–109).
Par exemple, en France, une étude du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Maetz, ) révèle que seulement 27 %, 39 % et 45 % des étudiants inscrits pour la première fois en première année de licence obtiennent le diplôme respectivement au bout de trois ans — la durée normale —, quatre ans et cinq ans, et que 46 % d’entre eux abandonnent au bout de deux ans.
Ces chiffres attestent du besoin d’aides à la réussite en licence.
Aux États-Unis, la situation, quoique meilleure, n’est pas non plus satisfaisante (Cooper, ) : 66,7 % des étudiants qui entrent pour la première fois dans un college où la durée de formation est prévue pour quatre ans obtiennent le diplôme au bout de six ans (Shapiro et al., ).
Dans le système éducatif états-uniens, il faut aller au college pour faire l’équivalent d’une licence française. Les universités sont des établissements plus gros constitués de plusieurs colleges et de diverses écoles complémentaires offrant la possibilité d’atteindre le master et le doctorat.
Les clients ont des priorités
La connaissance de l’importance que les clients accordent à un but, un problème ou une attente est un atout considérable (Osterwalder et al., , pp. 20–21). Les expérimentations les plus intéressantes sont celles qui peuvent l’estimer statistiquement sur un échantillon suffisamment divers et grand de personnes.
Des sondages sont capables de cela. Cependant, ils ont le défaut de baser leur mesure uniquement sur ce que les gens disent. Et nous savons que ce les gens disent et ce que les gens font sont deux choses différentes. Les résultats et les indicateurs produits par des appels à l’action sont plus fiables et plus concluants (Osterwalder et al., , pp. 216–217).
Imaginons que suite à une expérimentation, ou même de façon purement hypothétique, nous ayons évalué sur une échelle allant de 0 à 100 la priorité d’un des buts, problèmes ou attentes de nos lecteurs (figure 2). Comment modéliser cette information avec le Canevas de l’empathie ?
Nous, nous aimons nous servir des nuances de couleurs (figure 4). Plus un but, un problème ou une attente est prioritaire, plus son jaunevert, orange ou bleu est foncéclair. Lorsque notre évaluation ne repose pas sur une expérimentation mais sur une hypothèse, nous ajoutons une bordure grise. Enfin, comme sur la figure 2, nous colorons d’un fond gris les buts, les problèmes et les attentes dont nous ne sommes pas sûrs de l’existence.
Voilà ! Nous arrivons au terme de ce billet liminaire sur les modèles, les langages et les métalangages. Nous espérons qu’il vous a plu et qu’il a commencé de vous persuader de l’utilité de la modélisation.
Le Canevas de l’empathie est le premier langage de modélisation de la série. Nous avons encore beaucoup d’autres langages à découvrir ensemble. Mais pour le moment, dans les prochains billets, nous allons créer un logiciel qui va nous permettre de jouer avec le Canevas de l’empathie sur l’ordinateur.
Questions
- Avez-vous déjà réfléchi aux buts, aux problèmes et aux attentes de l’organisation qui vous a recruté ou que vous rêvez de rejoindre ? Modélisez-les avec le Canevas de l’empathie.
- Quelles solutions apportez-vous ou pensez-vous pouvoir apporter aux problèmes que vous avez identifiés ?
- L’état du monde s’explique du fait qu’il y a plus de profit à se faire en enfer qu’au paradis. Qu’en pensez-vous ?
Bibliographie
Cooper, Preston. « College Completion Rates Are Still Disappointing. » Forbes. . Disponible en ligne sur Forbes — dernier accès le .
Maetz, Isabelle. « Les parcours et la réussite en Licence, Licence professionnelle et Master à l’université. » Dans L’état de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France. 10e éd. Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, . Disponible en ligne sur Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation — dernier accès le .
Osterwalder, Alexander, et Yves Pigneur. Business Model Generation. Hoboken, New Jersey : John Wiley & Sons, .
Osterwalder, Alexander, et al. Value Proposition Design. Hoboken, New Jersey : John Wiley & Sons, .
Shapiro, Doug, et al. Completing College: A National View of Student Completion Rates — Fall 2011 Cohort. Herndon, Virginie : National Student Clearinghouse Research Center, . Disponible en ligne sur National Student Clearinghouse Research Center — dernier accès le .
Woehr, Jack. « An Interview with Donald Knuth. » Dr. Dobb’s. . Disponible en ligne sur Dr. Dobb’s — dernier accès le .
Crédits photographiques
guvendemir (nom d’utilisateur sur iStockphoto). ‹Avoir de l’empathie.› . Disponible en ligne sur iStockphoto (numéro de référence : 851583290) — dernier accès le . Photo mise en avant.